(petites réflexions décousues sur le transhumanisme)
Conservator :
Il semble, cher ami, que notre époque ait procédé à une opportune
« rectification des dénominations » : ce qu’on
appelait autrefois l’eugénisme s’appelle à présent le
« transhumanisme ». Voudrait-on, de cette façon, mieux
en cacher l’aspect inhumain ?
Extropian :
Le transhumanisme s’intéresse à l’impact que pourraient avoir
sur l’être humain les sciences et les technologies (biologie,
informatique, nanotechnologies, etc.). Qu’y a-t-il d’inhumain
dans ce programme ?
Conservator :
Le but semble bien d’améliorer la qualité des hommes, comme on
peut le faire pour les végétaux ou les animaux. C’est donc bien
de l’eugénisme, une pratique dont l’histoire a rapporté les
dégâts en Allemagne nazie, au Japon, en Chine, etc.
Extropian :
La différence est que le transhumaniste n’envisage pas des
programmes étatiques, donc coercitifs et imposés de force à une
population, mais des choix individuels, libres et raisonnés. L’homme
a toujours cherché à s’améliorer, lui-même ou sa descendance.
Que trouver à y redire ?
Conservator :
Pourquoi l’individu aurait-il le droit de pratiquer ce qu’on
refuse aux Etats ? En quoi serait-il moins monstrueux, par
exemple, de permettre à certains parents de modifier les gènes de
leurs enfants pour produire des esprits supposés supérieurs qui, de
plus, allons jusqu’au bout de la tentation eugénique, n’auraient
aucun défaut physique ?
Extropian :
Je ne comprends pas ces réticences. Cet « eugénisme »
est pratiqué tout le temps, de façon naturelle, par le simple choix
d’un partenaire ou d’un conjoint. Se marier, c’est déjà
pratiquer une sélection génétique. Au lieu de compter sur le
hasard pour avoir des enfants intelligents et athlétiques, on espère
utiliser la science pour mieux atteindre le but souhaité.
Conservator :
Vous voulez forcer la main de la nature pour créer un être humain
qui corresponde à l'image idéale que vous en formez. Il ne faut pas
modifier la nature humaine, c’est pour moi une entreprise
totalitaire.
Extropian :
Vous donnez un peu vite dans l’incantation et dans l’imprécation.
D’abord qu’est-ce que la nature humaine ? Il y a certes une
nature humaine dans le sens où un homme diffère d’un chien
ou d’un caillou, mais il n’y a pas de nature humaine si par
là vous entendez quelque chose de permanent, de figé pour toujours.
L’homme d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’il y a
des milliers ou des millions d’années. Il est en perpétuelle
évolution. S’interdire de modifier la nature humaine, c'est se
priver des moyens d’accroître nos performances ou de préserver
notre vie face à de futures menaces, c’est aussi se priver d’une
plus grande diversité génétique.
Conservator :
Ce n’est pas libéral puisque vous imposez vos choix aux êtres
ainsi « modifiés ».
Extropian :
On impose toujours nos choix à nos enfants, ne serait-ce qu’en se
mariant avec un(e) blond(e) plutôt qu’avec un(e) brun(e), en leur
inculquant une religion donnée, en leur faisant apprendre une langue
ou le piano, en les envoyant dans telle école plutôt que dans telle
autre, etc.
Conservator :
Le principe de précaution devrait s’appliquer, de façon à
interdire ces entorses douteuses à la loi naturelle dont on ne sait
quelle peut être l’issue finale.
Extropian :
Le principe de précaution suppose que l’inaction n’aurait jamais
de conséquence fâcheuse, alors que l’action pourrait en avoir.
S’il avait été appliqué, on n’aurait trouvé ni le feu, ni le
moteur à explosion, ni les antibiotiques, ni pratiquement aucune des
inventions dont nous ne pourrions nous passer aujourd’hui. Je lui
préfère un « principe de proaction » : c’est la
liberté d’innover qui nous fait progresser, et non le refus du
risque.
Conservator :
Je maintiens que c’est une mentalité totalitaire qui est à
l’œuvre, une mentalité qui n’a rien à envier aux pires
exactions de certaines dictatures du XXe siècle. C’est
un « homme nouveau » en éprouvette que vous voulez
créer.
Extropian :
Non, car le but n’est pas « d’améliorer la race humaine »,
ce qui serait une vision collectiviste et constructiviste que je
rejette autant que vous. Je professe ici un progressisme libéral qui
peut probablement choquer certaines personnes adeptes d’une éthique
particulière, d’une éthique conservatrice ; cependant, cette
volonté progressiste est tout à fait respectable et conforme à
l’éthique minimale du libéralisme, qui consiste à ne pas
agresser autrui dans sa propriété ni dans son intégrité physique.
Conservator :
Manipuler les gènes d’un enfant à naître, ce n’est pas
attenter à son intégrité physique ?
Extropian :
Pourquoi, si l’intention est de lui éviter certaines maladies ou
malformations, ou de lui conférer certaines qualités physiques
(voire mentales − à supposer que ce soit possible, car le postulat
matérialiste qui suppose que les qualités intellectuelles
reposeraient exclusivement sur la génétique n’est pas prouvé) ?
En outre, vous avez tort de vous focaliser exclusivement sur ce qui
se passe avant la naissance. Des modifications génétiques
pourraient très bien, un jour, être introduites après la
naissance, permettant à l'individu de déterminer par lui-même s'il
les souhaite ou non. Le degré de « science-fiction » de
ces deux types de spéculations (manipulation avant naissance ou
après naissance) est sensiblement le même.
Conservator :
Je crois que vous fermez un peu trop vite les yeux sur les
conséquences sur autrui de vos actes. Vous demandez une liberté
maximale dans ce redoutable domaine de l’eugénisme en oubliant la
responsabilité qui accompagne nécessairement cette liberté.
Certains désaxés pourraient très bien vouloir engendrer des
monstres, ou des sortes d’esclaves qui seraient à leur service.
Car l’homme est égoïste.
Extropian :
Une technologie est neutre en elle-même, elle peut toujours être
utilisée dans un sens ou dans un autre. En outre, la génétique ne
détermine pas de façon absolue ce que sera l’être après sa
naissance. Ce dernier pourrait d’ailleurs aller plus tard en
justice demander réparation pour des torts qu’il subirait de par
des choix génétiques clairement stupides et préjudiciables opérés
par ses géniteurs.
Conservator :
Mais pourquoi voulez-vous jouer au démiurge ? N’est-ce pas de
l’arrogance, ou pire, de l’hubris ?
Extropian :
La modification de l’homme relève aussi de sa recherche du
bonheur.
Conservator :
Une recherche sans doute illusoire, car il n’échappera jamais à
la souffrance, à la maladie et à la mort.
Extropian :
Certes ! Je ne partage pas les délires de certains sur
l’immortalité ou sur la toute-puissance que promettrait on ne sait
quelle technologie avancée encore inexistante. Mais il n’y a
aucune raison de s’opposer à de potentiels progrès
technologiques, n’y d’imposer à autrui une éthique
conservatrice, ennemie de la nouveauté voire de la transgression,
seule façon d’avancer dans la nuit de l’ignorance et de
l’incertitude. Libre à vous de penser que la nature humaine est
sacrée, intangible. Mais laissez faire comme ils l’entendent ceux
qui ne partagent pas ce point de vue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire