lundi 2 novembre 2020

La dictature sanitaire, en littérature, à travers les siècles

En ces temps maussades, distrayons-nous en relisant les bons auteurs !

A toute époque, les « blouses blanches » ont fait parler d’elles, et pas nécessairement en bien.

Au XVIIe siècle, les médecins de Molière sont aussi prétentieux qu’incompétents. Leur ridicule tragique culmine dans Le Malade imaginaire, dernière œuvre dramatique créée par Molière, l’année même de sa mort (1673). On se souvient des sinistres et bien-nommés docteurs Purgon et Diafoirus. Mais Molière avait déjà amplement exploré le thème dans des pièces plus anciennes, avec des piques bien senties à l’égard de certains charlatans bien près d’établir une dictature médicale :

Il ne faut pas s’amuser à se laisser mourir sans l’ordonnance de la médecine ! (Le Médecin volant)

Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles. (L'Amour Médecin)

Au XIXe siècle, on ne peut manquer d’évoquer Samuel Butler, auteur (anglais) du roman satirique et utopique Erewhon (1872). Le chapitre 11 (Some Erewhonian Trials) décrit un monde où tomber malade devient un délit. Le criminel, qui avait eu le tort de négliger sa santé, est très sévèrement puni (la prise quotidienne d’huile de castor fait partie de la punition) :

I do not hesitate therefore to sentence you to imprisonment, with hard labour, for the rest of your miserable existence. During that period I would earnestly entreat you to repent of the wrongs you have done already, and to entirely reform the constitution of your whole body. I entertain but little hope that you will pay attention to my advice; you are already far too abandoned. Did it rest with myself, I should add nothing in mitigation of the sentence which I have passed, but it is the merciful provision of the law that even the most hardened criminal shall be allowed some one of the three official remedies, which is to be prescribed at the time of his conviction. I shall therefore order that you receive two tablespoonfuls of castor oil daily, until the pleasure of the court be further known.

Au XXe siècle, il y a l’inévitable docteur Knock de Jules Romains (1923). La pièce, qui s’appelle opportunément Knock ou le Triomphe de la médecine, décrit une véritable prise de pouvoir de la médecine, ou plutôt d’un médecin, sur une région entière, des villages entiers étant transformés en hôpitaux. Le très efficace Knock persuade l’ensemble de la population qu’elle est malade et doit rester au lit. Ses réparties sont célèbres, et Diafoirus (ou Véran ?) ne les renierait pas :

Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent.

La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon.





Knock prétend ne pas agir dans son propre intérêt, mais dans un intérêt supérieur : « celui de la médecine ». Belle leçon de manipulation des foules, avec en arrière-plan une pandémie, celle de la grippe espagnole (1918-1919), qui explique le succès de l’ultra-prophylaxie que cherche à établir Knock. Une patiente regrette d’ailleurs que Knock ne soit pas arrivé plus tôt car « vous ne me direz pas qu’un vrai médecin aurait laissé mourir tout ce monde au temps de la grippe espagnole ».

Un siècle a passé, et aujourd’hui Knock a de nouveau triomphé !