jeudi 3 juillet 2014

Un État gagnant ? L’État abolitionniste !

Un État gagnant ? L’État abolitionniste !
Thierry Falissard (article n° 60 de Libres !!)

« L’État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m’impose un credo, le credo de la légalité. » 

Les libertariens ont des conceptions bien arrêtées de ce que devrait être l’État, selon leurs options éthiques ou ontologiques (principe de non agression, propriété de soi-même, autonomie de la personne, éthique minimale, droit naturel, etc.).

Passons de l’autre côté de la barrière et devenons des étatistes ! Mais des étatistes rationnels, qui voient davantage l’État comme une entreprise utile et responsable – comme toute entreprise à succès – plutôt qu’un moyen de spoliation, de redistribution, d’enrichissement personnel par la corruption, et d’appauvrissement par la démagogie.

Imaginez-vous à la tête d’une de ces entités qu’on appelle « État », ou plutôt que nous appellerons dans sa nouvelle forme un ἐtat, c’est-à-dire un État banalisé, « epsilonisé », rendu à ses missions principales, l’inverse de l’État d’aujourd’hui. Il vous importe à vous, dirigeant et actionnaire, qu’il ne travaille pas à la destruction de la société ni à sa propre destruction, par la dette publique, l’absence de rentabilité, le déficit, la poursuite de missions contradictoires ou sans finalité précise, l’octroi de privilèges, et surtout l’absence de contrôle par ses actionnaires, appelés « contribuables ».

Les citoyens ne contestent pas la légitimité d’un ἐtat, qui existe ipso facto, comme fournisseur de certains services, entre autres de sécurité ; ils ne s’attachent qu’à évaluer les fonctions que rend cette entreprise particulière, en situation (ou non) de monopole. L’ancien État avait des esclaves, le nouvel ἐtat a des clients.

Car les citoyens, politiquement matures, ont perdu l’illusion de la représentation : un ἐtat ne représente que lui-même. Ils ont aussi abandonné l’illusion de l’intérêt général : le seul « intérêt général » qu’ils connaissent est le respect de leurs droits individuels, peu importe qui l’assure et de quelle façon. L’ἐtat n’est pas la nation, bien que l’État d’ancien style prétendît le contraire. A sa tête, il n'y a que les chefs des employés-fonctionnaires, pas les « représentants du peuple ». Par le vote, les électeurs ne donnent aucun chèque en blanc pour être « représentés » et agir en leur nom. Les contribuables ne sont plus un bétail passif mais deviennent des copropriétaires actifs. Ils ont réglé le problème séculaire de l’État, entreprise sans contrôle actionnarial, car tombée entre les mains de ses employés et de leurs chefs.

L’ἐtat est un État désacralisé, au service des citoyens, à rebours de l’État habituel qui exige que les citoyens soient à son service. L’État d’ancien style rendait des services, dits « publics » car le public payait aveuglément pour eux, qu’il utilisât ces services ou non, qu’ils lui plussent ou non… L’ἐtat de nouveau style cherche à rendre le meilleur service : sa rentabilité en dépend. Pour cette raison, il est amené à se recentrer sur son cœur de métier, la coercition, la « violence légitime », le droit du plus fort – mais appliqué le plus judicieusement possible. Car l’ἐtat est évidemment en concurrence, y compris en interne. Ses actionnaires minoritaires pourraient se détourner de lui et former d’autres ἐtats plus adaptés à leurs besoins, selon un principe de subsidiarité.

Examinons à présent la pratique des ἐtats les plus prospères et les plus appréciés du public :
  • ils ont séparé ἐtat et économie, en abandonnant tout interventionnisme économique ; 
  • ils ont répudié la dette courante de l’Etat en faillite dont ils ont hérité ; 
  • ils se sont interdits tout nouvel endettement autre que justifié par des investissements ; 
  • ils ont instauré une liberté monétaire : toute monnaie est acceptée par leur clientèle ; 
  • ils ont séparé l’ἐtat et le social ; l’ancien Etat n’était ni solidaire ni moral, puisque son action reposait sur l’immoralité de l’impôt, vol légal ; 
  • ils ont ouvert en grand les frontières (liberté de circulation complète des personnes, des marchandises et des capitaux) ; faute d’État-providence attractif, l’immigration est modérée et ipso facto « choisie » ; 
  • ils ont laissé disparaître d’eux-mêmes les monopoles de droit qui saignaient le pays et n’avaient aucune raison d’exister. Des dédommagements ont pu être payés à ceux qui profitaient de ces rentes étatiques, en vendant les biens de l’État en faillite. 

En n’imposant qu’un droit minimal, expression de la légitime défense, une grosse partie du droit positif a été abolie, et le reste a été revu à la lumière du principe d’agression minimale : suppression du statut protégé des fonctionnaires (devenus salariés de l’ἐtat, ou prestataires extérieurs), du code du travail, de la sécurité sociale, abolition des lois qui instaurent des inégalités de droit ou limitent la liberté d’expression, suppression de la réserve héréditaire, rejet de la DUDH dans ses aspects antilibéraux, suppression de toutes les formes d’associations non libres, marché libre de l’adoption, etc.

Les secteurs auparavant étatisés, inutiles ou nuisibles, ont disparu (fisc, douane, inspection du travail, répression des fraudes, ministères non régaliens…) ou se sont adaptés : l’Académie française est devenue une association de promotion du français ; les diplomates rendent des services de négociation privés, etc. Chaque ἐtat ne s’occupe que de justice et de sécurité, en laissant tous les autres domaines à des entités plus compétentes que lui.

À qui nous accuserait de vouloir faire passer l’État en des mains privées, nous répondrons que c’est déjà le cas ! L’État actuel est la propriété de ceux qui en ont les rênes, officiellement (politiciens, fonctionnaires) ou officieusement (lobbies, syndicats, associations). Il faudrait le rendre à ses légitimes propriétaires, ceux qui paient pour lui : que les décideurs soient les payeurs, les payeurs les bénéficiaires.

C’est donc une nouvelle façon de considérer l’État que nous proposons : ni un ennemi, ni un représentant, mais un prestataire de services, dont le métier est la coercition, qui est jugé sur ses résultats ; utile dans certaines missions, il est porté à toutes sortes d’abus quand il est monopolistique ou quand son actionnariat est impuissant. Cette perspective futuriste exige du citoyen qu’il abandonne toutes sortes d’illusions, le credo de la légalité, la sacralisation de l’État. Cela prendra peut-être des siècles, mais on passera un jour d’une société d’oppression et de pauvreté à une société de liberté et de prospérité, par abolition des deux principales activités de l’État : l’interventionnisme et l’injustice par la loi.

mardi 27 mai 2014

Blague d'économistes

Plusieurs économistes keynésiens se promènent en ville. Ils trouvent un billet de 100 dollars par terre, mais ils passent leur chemin : 

- Revenons demain, avec le multiplicateur keynésien il y aura 10 billets identiques.


Plusieurs économistes autrichiens se promènent en ville. Ils trouvent un billet de 100 dollars par terre, mais ils passent leur chemin : 


- Ce doit être un faux billet, s’il était vrai il y a longtemps que le marché s’en serait emparé.


Plusieurs économistes mercantilistes se promènent en ville. Ils trouvent un billet de 100 dollars par terre, mais ils passent leur chemin : 


- Ce n’est qu’un papier sans valeur. Seuls les métaux précieux valent quelque chose.
- Et puis nous sommes au XVIe siècle, le dollar n’a pas encore été inventé.


Plusieurs économistes geeks se promènent en ville. Ils trouvent un billet de 100 dollars par terre, mais ils passent leur chemin : 


- J’ai lu dans Facebook et Twitter (confirmé par Hoaxbuster) que tous les substituts papiers à Bitcoin n’étaient qu’un « Ponzi scheme ». Ne nourrissons pas le troll et laissons-le avec son spam.


Plusieurs économistes marxistes se promènent en ville. Ils trouvent un billet de 100 dollars par terre, ils s’arrêtent et le ramassent : 


- En tant que représentants du prolétariat, il est de notre devoir d’empêcher l’accaparement par les exploiteurs et de redistribuer équitablement la richesse aux pauvres, à commencer par nous. 


Paul Krugman se promène en ville. Il s’arrête à l’endroit où se trouvait le billet et dit : 


- Pour relancer l’économie, il suffirait que la banque centrale imprime un billet de 100 dollars et le dépose là !

mardi 13 mai 2014

La jalousie sociale, selon Ron Paul


La jalousie sociale ("Envy", Liberty Defined, Ron Paul, 2011)
Traduction Thierry Falissard

L'envie, la jalousie sociale, est une forme douloureuse de sensibilité au bien-être d'autrui. Elle est généralement associée au désir de mettre fin à ce bonheur par différents moyens. Aussi est-elle pire que la simple jalousie, qui consiste à désirer ce que possède autrui. La jalousie sociale, par dépit et par haine, cherche à déposséder autrui de ce qu'il a ; elle est motivée par un désir de destruction. C'est une émotion extrêmement nocive, qui ne peut procurer de bonheur personnel et qui cause forcément un préjudice à la société. Laisser libre cours à la jalousie sociale ne parvient qu'à satisfaire une sorte de soif à souhaiter du mal à autrui. Toutes les religions du monde condamnent cette pulsion. L'envie est l'un des sept péchés capitaux ; nous apprenons à nos enfants à ne pas la ressentir. Rien de bon ne peut en émaner.

Je soulève la question dans notre contexte politique, car la jalousie sociale est une des forces motrices de la politique de redistribution des États-Unis ; ce sentiment et cette motivation s'étalent tous les jours dans les éditoriaux des journaux. C'est le motif secret qui anime les attaques incessantes contre les riches chaque jour à Washington, ville dont la population comprend quelques-unes des personnes les plus aisées de tout le pays. Le sentiment à l'œuvre derrière les attaques contre les riches (ceux qui le sont devenus honnêtement), le sentiment que ces attaques cherchent à susciter au sein de la population, est la jalousie sociale.

On l'appelle parfois le monstre aux yeux verts[1]. Beaucoup de traditions religieuses ont donné des charmes et des méthodes pour la conjurer. C'est parce que les envieux ne reculent devant rien pour atteindre leur but de nuire à ceux qui réussissent, même si ce faisant ils se nuisent à eux-mêmes. Les politiques motivées par la jalousie sociale, comme l'impôt sur le revenu à taux progressif ou l'impôt sur les successions, ne bénéficient pas à la société. Ils recueillent sans doute moins de fonds qu'avec une taxation qui serait faible et favorable à la production globale. Mais de telles politiques ne ratent pas leur but, qui est de nuire à ceux qui sont riches et qui ont du succès.

La pratique privée de la jalousie sociale a des conséquences dangereuses pour la société. Les gens ont peur de conduire une belle voiture ou de vivre dans une belle maison, parce que de tels comportements peuvent susciter des représailles. Il en est de même pour la politique mise en œuvre par  l'État. Des politiques qui reposent sur la jalousie sociale découragent l'accumulation de richesse, punissent le succès, et conduisent les gens à se détourner de grandes ambitions. Les personnes qui auraient pu chercher à devenir riches y réfléchissent à deux fois, sachant très bien que la force de la loi les guette pour écraser leur succès.

La haine est toujours nocive pour l'âme, mais haïr une personne ou une catégorie de personnes parce qu'elles ont bien réussi est encore plus nocif. Et c'est précisément la finalité des politiques destinées uniquement à punir les gens qui gagnent de l'argent ou qui ont un niveau de vie élevé. Il en est ainsi depuis très longtemps. Cela me frappe comme une forme d'immoralité institutionnalisée. Dans des conditions idéales, notre législation devrait nous conduire à donner le meilleur de nous-mêmes, en faisant toujours appel aux plus hautes motivations de notre nature. Tandis que des politiques qui nuisent aux gens uniquement parce que ce sont des gagnants font appel à nos plus bas instincts.

Il est assez difficile pour les gens d'être confrontés au succès, surtout dans un contexte de marché où la rentabilité découle de qualités supérieures comme l'anticipation, la prudence ou le bon sens. Nous devrions apprendre à fêter le succès ou, comme le disaient les philosophes antiques, apprendre à nous inspirer du succès d'autrui. Nous devrions essayer de copier le succès, pas de le punir. C'est la façon de faire américaine, et c'est l'une des principales raisons de la richesse et du succès des citoyens de ce pays.

Il en est de même en politique internationale. Nous n'avons pas à être le numéro un ni à considérer chaque pays qui réussit (pensez à la Chine) comme une menace avec laquelle il faudrait se colleter bec et ongles. Dans une véritable économie de marché, le gain ne s'effectue aux dépens de personne. Nous pouvons gagner tous ensemble, à condition de garder à distance le monstre aux yeux verts.


[1] Ce Green-Eyed Monster est une expression anglaise, issue probablement de l'Othello de Shakespeare : « Oh ! prenez garde, monseigneur, à la jalousie ! C'est le monstre aux yeux verts qui produit l'aliment dont il se nourrit ! » (acte III, scène 3).