mercredi 7 août 2013

Libéral ou libertarien ? Le test...



Même si le Petit Larousse illustré 2014 intègre à présent "libertarien" dans ses nouveaux mots, et que le terme commence à "entrer dans les mœurs" (notamment depuis la campagne de Ron Paul en 2012 et les péripéties d'Edward Snowden, sans compter de petites incursions récentes en France soviétique lors d'une élection législative), l'usage n'est pas encore bien fixé autour de ce vocable. 

Certains auteurs, même libertariens (comme Pascal Salin), n'utilisent jamais le terme de "libertarien", mais uniquement celui de "libéral". D'autres utilisent indifféremment les deux termes, les considérant comme synonymes. Et une troisième catégorie (à laquelle j'appartiens) préfère différencier nettement "libéral" et "libertarien". 

En effet, "libéral" ne signifie plus rien aujourd'hui : tout le monde est plus ou moins libéral (sauf quelques nostalgiques de l’URSS), et aux États-Unis les étatistes prétendument progressistes se qualifient de liberal, tandis que libertarian désigne les libertariens (et parfois également les libertaires gauchisants). Il y a, paraît-il, un "socialisme libéral", un "égalitarisme libéral", un "conservatisme libéral" ; il ne manque plus qu'un "libéralisme libéral" pour ajouter à la confusion. Et le terme n'a pas le même sens d'un pays à l'autre : en Suisse, c'est une qualité que d'être libéral, en France, pays du terrorisme intellectuel de gauche, cela équivaut presque à être un "nazi" ou un "darwiniste social". 

Cependant, certains s’affirment libéraux mais non libertariens. Mais alors, comme différencier un libéral et un libertarien ?

Je propose le test suivant. Si vous êtes d'accord avec l'une au moins des propositions ci-dessous, vous n'êtes probablement pas un libertarien. Si vous êtes d'accord avec toutes, vous êtes l'étatiste parfait, et vous devriez certainement vous lancer en politique ou entrer dans la fonction publique ! La cleptocratie vous appelle !

1) L'État a le droit d'imposer une "
solidarité" minimale, via l'impôt ou les cotisations "sociales", car autrement personne n'assisterait ceux qui sont "laissés au bord de la route".

2) Il y a des limites à la liberté, que le "
principe de non-agression" libertarien à lui seul ne cerne pas ; par exemple, vente d'organes, prostitution, trafic de drogue, diffamation, etc. doivent être interdits et punis.

3) La notion libertarienne de "
lutte des classes" n'est pas admissible, l'État n'est pas une source d'exploitation au seul prétexte qu'il impose une "asymétrie" entre citoyens, certains payant des impôts ou finançant des privilèges dont d'autres bénéficient.

4) La
démocratie représente l'achèvement ("l'horizon indépassable") du libéralisme, dont elle est inséparable ; démocratie ou liberté, c'est du pareil au même.

5) L'idée d'un "
droit naturel" qui ne serait pas d'origine étatique, mais existerait indépendamment de lui, est absurde : le seul droit est celui que met en œuvre l'État, et en démocratie il est normal pour le citoyen de s'y plier.

6) Certains services publics ou "biens publics", comme la monnaie, ou l'éducation, ou la "sécurité sociale", sont du ressort exclusif de l'État et doivent lui être confiés.

7) Il est normal que l'État ne fonctionne pas comme une entreprise, et qu'il prenne en charge des fonctions a priori "non rentables".

8) L'économie ne peut fonctionner correctement si l'État n'est pas là pour la diriger ou la réguler.

9) La politique est quelque chose de noble, cela consiste à désigner nos représentants, qui agiront dans l'intérêt général.

10) L'État devrait interdire les tests politiquement incorrects et provocateurs comme celui-ci.

Quelques commentaires sur chacune de ces affirmations.

1) La solidarité ne peut être que volontaire, sinon ce n'est plus de la solidarité : c'est de la coercition pour les uns et de l'assistanat pour les autres :

L'État-providence est une pornographie de la générosité, car il nous force à accomplir les gestes, même si nous n'éprouvons pas le sentiment. (Christian Michel)

C'est aussi l'idée que la fin justifie les moyens : on aurait le droit de soulager un mal ici en causant un autre mal là. Mais alors pourquoi n'aurais-je pas moi-même le "droit" d'obliger mon voisin à être "solidaire" envers moi en allant le voler, sous prétexte qu'il est plus chanceux, plus riche, plus favorisé que moi ? L'État fait-il autre chose ? Pourquoi le vol est-il considéré comme un mal, excepté quand c’est l'État qui le pratique ?

2) Si vous posez des limites à la liberté, quelles seront ces limites ? Et que faire en cas de désaccord sur ces limites ? Vente d'organes, prostitution, trafic de drogue, etc., si vous les regardez de près, ne limitent la liberté de personne, n'agressent personne (en droit il ne peut exister d'agression envers soi-même − sans quoi il faudrait aussi bien interdire le suicide ou le masochisme). Quant à la diffamation, au mensonge, à la calomnie ou à l'insulte, ils ressortissent à la liberté d'expression, dont évidemment il est possible d'user de façon immorale, mais il n’y a là pour les libertariens aucune agression à proprement parler.

3) La "lutte des classes" au sens premier, celui du libéralisme (avant que le marxisme n'en dévoie le concept), c'est l'opposition entre les volés et les voleurs, les criminels et leurs victimes. Le vol consiste à prendre le bien d'autrui sans son consentement : c'est exactement ce que fait l'État, puisque l'impôt est "imposé", et que le "consentement à l'impôt" est un oxymore (si un tel consentement existait vraiment, on pourrait sans problème rendre l'impôt facultatif).

4) La démocratie a conduit au nazisme et au communisme ! Nous n’évoquerons même pas les contradictions qui lui sont propres (théorème d'Arrow,  théorème de l’électeur médian, etc.), pour insister sur le fait qu’elle se transforme aisément en démocratie totalitaire, soit de façon violente (par la révolution), soit de façon insidieuse comme c'est le cas dans les social-démocraties. Quel devrait être son champ d'action, d'un point de vue libertarien ? Tout ce qui ne concerne pas la liberté et la propriété d'autrui : la couleur du drapeau national, l'élection d'un représentant gestionnaire des "biens publics", etc. Il est clair qu'alors la politique serait réduite à peu de chose, pour le plus grand bien de tous. On aurait enfin réussi à dépasser la démocratie.

5) Si l'idée de "droit naturel" est absurde, cela signifie qu'il n'y a pas de loi injuste. En revanche, si vous jugez qu'il peut effectivement y avoir des lois injustes, vous devez admettre l'existence de critères qui vous permettent d'en juger, et cela indépendamment du droit positif. Le droit naturel (que l'on ferait mieux d'appeler "droit moral" comme le proposaient judicieusement John Stuart Mill et Arthur Schopenhauer) ce n'est pas autre chose : c'est la recherche d'une justice acceptable par tous et fondée sur la raison, sous la forme d'une éthique minimale applicable à tous. Entre Antigone et Créon, les libertariens choisissent Antigone ! Ils en arrivent ainsi à rejeter toute notion de droit qui serait en désaccord avec l'éthique minimale du principe de non-agression, et donc à rejeter une grande partie du droit positif :

L’État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m’impose un credo, le credo de la légalité. Il exerce sur moi une influence morale, il règne sur mon esprit, il proscrit mon moi pour se substituer à lui comme mon vrai moi. (Max Stirner, L’Unique et sa propriété)

6) Le point de vue libéral et libertarien est que le service public devrait être confié chaque fois que c’est possible à la société civile, et donc privatisé, confié à des entreprises ou à des associations. Dans le passé, l’État s’occupait du commerce du blé, le résultat en était la famine. Aujourd’hui on peut constater chaque jour les dégâts causés par le service public : gaspillages, pénuries ou gabegies, rationnement, corruption, bureaucratie, privilèges accordés à quelques-uns aux dépens de tous, retards technologiques, grèves à répétition, contraintes absurdes, etc. Le libertarien va en général plus loin que le libéral, dans la mesure où il étend la privatisation aux domaines de la monnaie, de l’éducation, du transport, de la santé, de la retraite, etc., voire de la sécurité (police et justice) pour les libertariens anarcho-capitalistes.


7) Il a existé et il existe encore des États fonctionnant comme des entreprises. C’est le cas d’un certain nombre de paradis fiscaux. L'État bernois, sans être un réel paradis fiscal, en fut longtemps un exemple, c'était un "État-entrepreneur domanial"

Berne était la plus grande république au nord des Alpes, s’étendant des portes de Genève aux portes de Zurich. Ses ressources financières étaient la propriété foncière, les émoluments des offices, les contributions aux routes et le commerce du sel et du blé. En plus, au XVIIIe siècle, les placements à l’étranger fournissaient un septième du budget. (Beat Kappeler, La fin de l’État idéal, Le Temps, 2 juillet 2011) 
La question est de savoir si l'État est à notre service, ou bien si au contraire nous sommes au service de l'État. Si l'État est à notre service, il n'est pas très différent d'une entreprise, il pourrait (devrait ?) donc être géré comme une entreprise. Si vous jugez normal que l'État prenne en charge des fonctions non rentables, ne vous étonnez pas que la dette publique grandisse indéfiniment ! Ce sont vos enfants qui paieront cette absence de rentabilité qui ne semble pas vous choquer. Car l'économie se venge toujours !

8) L'économie peut fonctionner sans interventionnisme étatique pourvu que les droits de chacun soient respectés. On ne nie pas qu'il faille à cette fin des services de justice et de police, et un minimum de règles à respecter, qui ne seront que l’expression du respect de la propriété et des contrats passés. On nie qu'il faille davantage que cela. Il est facile de montrer que l'intervention de l'État est la cause de tous les désastres économiques. Non pas que l'économie "livrée à elle-même" soit parfaite (elle ne le sera jamais : il y aura toujours des faillites, des crises, des bulles spéculatives, des escroqueries, etc.), mais l'intervention étatique inconsidérée a la faculté de transformer l'imparfait en catastrophe. Car il est tout simplement impossible de diriger l'économie :

Piloter l’économie est une tâche en soi qui n’a pas de sens et qui condamne toute action publique à l’échec puisque les grandeurs économiques globales que l’on prétend réguler (comme la consommation des ménages, l’investissement des entreprises ou les prix, salaires et taux d’intérêts) résultent fondamentalement de décisions prises librement par des acteurs aux motivations variées et aux contraintes diverses. Et empêcher les acteurs de prendre leurs décisions et d’assumer leurs responsabilités, c’est franchir un pas supplémentaire dans l’étouffement progressif de la liberté individuelle, ce qui est le plus sûr moyen de condamner toute l’économie. (Jean-Louis Caccomo)

9) La politique, c'est presque toujours l'affrontement d'une partie du pays contre une autre partie. C'est certes moins violent qu'une guerre civile, mais cela reste, en démocratie, une violence symbolique, qui permet à une majorité d'opprimer impunément une minorité. Sortez de l'illusion démocratique qui vous donne le droit de choisir l’étatiste en chef, mais pas d'échapper à l’étatisme ! Quant au mythique intérêt général, il n'existe pas, ou plutôt, on peut le définir simplement comme le respect du droit de chacun : il est a priori dépourvu d'aspect collectif.


Ce test ne doit pas donner une idée fausse des conceptions libertariennes ni du but qu’elles visent. Le libertarien n’est pas un utopiste (ou pas seulement…) ni un doctrinaire borné. Il est prêt à soutenir toute avancée procurant à la société civile davantage de liberté et lui permettant une reprise en main de son destin en-dehors de la coercition étatique. Il approuve toute initiative dans ce sens, aussi insignifiante soit-elle, qu’elle vienne de droite ou de gauche. Malheureusement, ce que les politiciens proposent en général c’est davantage d’esclavage, de contrôle, de paternalisme, de "protection" chèrement monnayée. Leur tâche, qui normalement devrait être réduite à sa plus simple expression (gérer quelques rares biens publics), devient démesurée ; et l’arme du "monopole de la violence légitime", fonction étatique fondamentale, les rend nuisibles par l’usage incorrect qu’ils en font.

Aucun commentaire: