La Sécurité sociale mise en concurrence
« Chaque
gouvernement a eu son projet de réforme de la Sécurité sociale ; ils ont tous
échoué. Ce n’est pas un hasard, car c’est le principe qui est mauvais. Ce qui
signifie que l’on mette un terme au monopole de la Sécurité sociale. » – Philippe
Simonnot
C
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haque fois que l’État
sort de ses attributions régaliennes pour prendre en charge des fonctions par
nature mieux assurées par la société civile, des catastrophes s’ensuivent. La
Sécurité sociale à la française, c’est une dette de plus de 130 milliards d’euros,
des déficits renouvelés, des déremboursements continuels, des cotisations
toujours en augmentation, des prix administrés, des retraites menacées, des abus
incessants, des contraintes absurdes tant envers les professionnels qu’envers
les prétendus « assurés sociaux ».
C’est d’abord l’institutionnalisation
de l’irresponsabilité, car l’assuré, ou plutôt le bien nommé « assujetti »,
n’a aucun choix :
·
Il doit sacrifier une partie du
fruit de son travail à ce gouffre financier en y contribuant de façon aveugle, qui
plus est à un coût très élevé si l’on veut bien se donner la peine de comparer les
montants déboursés par le patron et ce qui reste in fine au salarié ;
·
Il doit en contrepartie accepter les
« prestations » telles qu’elles sont, non contractuelles et déconnectées
des cotisations, sans possibilité pour lui de faire jouer la concurrence ni de
sortir du système.
Le peu d’esprit mutualiste qui était présent
à l’origine de l’institution, tout à fait respectable puisque fondé sur le
consentement des personnes, a été complètement dénaturé et étouffé sous la
coercition, la bureaucratie, la réglementation administrative, le rafistolage perpétuel
du système et le recours à l’endettement comme solution à tous les
dysfonctionnements. Ce système apparemment si généreux (en réalité arbitraire
et déresponsabilisant) ne tient que grâce aux déficits accumulés, que devront
régler les générations futures.
Cette bien mal-nommée Sécurité sociale a été
construite et gérée comme si ses ressources étaient illimitées et permettaient
de réaliser l’utopie communiste du « à chacun selon ses besoins », et
comme si l’on pouvait vivre au jour le jour en tirant immédiatement parti pour
soi-même de la spoliation de son voisin. Heureusement que la même prétention planificatrice
et totalisante n’a pas trouvé le même champ d’application dans le domaine de l’alimentation
ou de l’agriculture, sans quoi pénuries, gaspillages et disettes seraient aujourd’hui
la norme, comme autrefois dans les pays de l’Est.
Il nous paraît donc étrange, sauf à être un profiteur
du système ou un technocrate qui en vit, de présenter comme un « acquis
social » ce monopole imposé à partir de 1945, qui ne survit que par la
contrainte et le déficit, et qui freine la croissance et le progrès. Mais il n’y
a pas de raison de s’obstiner dans la poursuite de la catastrophe ni d’attendre
la faillite finale, inéluctable, pour agir dès aujourd’hui.
Un tel aveuglement serait d’autant plus
inexcusable qu’il existe sur le marché une offre très vaste en matière de
traitement du « risque social », qu’il s’agisse d’assurance maladie, de
chômage, d’accidents du travail ou de vieillesse. L’obligation d’assurance
pourrait être conservée (pour éviter de mettre le non-assuré à la charge de la
communauté), mais l’offre d’assurance serait libre et l’assuré pourrait
comparer les contrats par lui-même, et opter selon sa situation. Les caisses
actuelles pourraient tout à fait continuer à exister, puisqu’elles sont déjà de
droit privé (lors de la création de la Sécurité sociale, il y eut une volonté claire
de construire une organisation parallèle à celle de l’État) ; elles
seraient en concurrence avec les autres mutuelles, les assurances et les
organismes de prévoyance. Les salariés toucheraient leur salaire complet, celui
que débourse l’employeur, et qui leur est intégralement dû, libre à eux ensuite
de choisir leur assurance.
Le cas des retraites est plus délicat à
traiter. Les hommes politiques du XXe siècle ont choisi la facilité en
forçant le passage de la capitalisation (déjà bien développée avant 1945) à la
répartition. Or la répartition est une escroquerie, car elle équivaut au mieux
à un placement à 0 %, faute d’un nombre suffisant d’actifs cotisants rapporté
au nombre de retraités. Elle pénalise la jeunesse, qui paie les pensions
actuelles, jeunesse qui n’a aucune chance de retrouver un jour, l’âge de la
retraite venu, l’équivalent de ce qu’elle a versé. Il faudra donc envisager un
passage progressif de la répartition à la capitalisation, ce qui a été réalisé avec
succès dans certains pays (comme au Chili avec José Piñera).
Il se trouve que la législation française actuelle
est tout à fait préparée à la fin du monopole pour toutes les branches de la
Sécurité sociale. En effet, l’acte unique européen de 1992 instaurait un marché
unique et la fin des monopoles sociaux (car il était impensable d’obliger un
Européen voulant s’installer en France à résilier ses assurances privées pour « adhérer »
au système obligatoire français). Les directives européennes ont été
transposées dans la loi française en 2001, et seule la tyrannie du statu quo et une peur irraisonnée de la
part des hommes politiques ont empêché leur application pratique.
La solidarité doit être séparée de l’assurance,
ce qui est déjà le cas en grande partie (ainsi la CMU est assurée par l’impôt,
et non par les cotisations sociales). « Il
ne faut pas étendre artificiellement la solidarité de manière à détruire la
responsabilité ; en d’autres termes, il faut respecter la liberté »
avertissait déjà Frédéric Bastiat.
Pourquoi jugerait-on le citoyen suffisamment
mature et autonome pour pouvoir voter et influer sur l’avenir de son pays, mais
pas pour choisir par lui-même sa propre assurance santé (comme peuvent le faire
les Allemands, les Hollandais ou les Suisses) ou se constituer une épargne-retraite
et cotiser à un fonds de pension (comme le font les Chiliens) ? Pourquoi
le priver de la possibilité de gérer sa propre vie comme il l’entend ?
Thierry
Falissard, Libres ! - 100
auteurs / 100 idées, collectif La
Main Invisible
Texte
libre de droits
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