La « grève » morale de Gérard Depardieu, Mathieu Laine (Source: Le Figaro)
« Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le
talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés ». En
prononçant ces mots, Gérard Depardieu est devenu notre John Galt
gaulois. « Qui est John Galt ? ». C’est précisément la question que
posent sans cesse les héros énigmatiques d’un roman magistral, La Grève
(Les Belles Lettres, 2011), que Gérard Depardieu et l’ensemble de ceux
qui le comprennent et le soutiennent doivent lire au plus vite.
John Galt est un génial inventeur, créateur et philosophe qui, dans
ce célèbre roman vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, se rebelle
contre l’interventionnisme galopant d’un Etat oppressant et la
compression des talents qu’il implique. Il emmène avec lui l’ensemble
des innovateurs, des entrepreneurs, des génies de la culture et des arts
qui refusent, comme lui, d’entretenir un système et des hommes
politiques qui non seulement pompent leur énergie, s’accaparent une
grande partie des fruits de leurs efforts, mais les pointent aussi du
doigt, les menacent, et finissent, après les avoir spoliés, par les
insulter.
Tous ces talents qu’on harcèle, qu’on bride et qu’on invective
disparaissent littéralement. Ils font la grève. « Il y a une différence
entre notre grève et toutes celles que vous avez menées pendant des
siècles. Notre grève ne consiste pas à formuler des revendications, mais
à les satisfaire. Nous sommes mauvais, selon vos principes : nous avons
choisi de ne pas vous nuire plus longtemps. Nous sommes inutiles,
d’après vos théories économiques : nous avons décidé de ne pas vous
exploiter davantage ». Et c’est ainsi que, John Galt et ses disciples
ayant quitté la scène, le moteur du socialisme s’arrête. La prise de
conscience est radicale. Mais il est trop tard. Trop tard pour
comprendre qu’en affaiblissant les hommes et les femmes qui réussissent,
en tuant les incitations individuelles au dépassement de soi et à
l’innovation, c’est toute la société qui s’effondre.
Cette révolte est morale. Elle est fondée et justifiée sur le plan
éthique. « Nous sommes en grève contre l’auto-immolation. Nous sommes en
grève contre le principe des récompenses imméritées et des obligations
sans contrepartie. Nous sommes en grève contre la doctrine qui condamne
la poursuite du bonheur personnel. Nous sommes en grève contre le dogme
selon lequel toute vie est entachée de culpabilité ».
Ayn Rand, l’auteur d’origine russe de ce best-seller mondial,
intitulé Atlas Shrugged en anglais (car Atlas, portant le monde, se
révolte en secouant les épaules) a écrit sa prophétie en… 1957. Il aura
fallu attendre 2011 pour que la France soit l’un des derniers pays à le
traduire. Celle-ci vient cependant à point nommé, dans une France malade
de son interventionnisme et de sa pression fiscale, qui n’ont cessé de
croitre sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande.
Sans même compter le délire des 75% et les chiffres effondrants
avancés par notre Cyrano national, sentant monter jusqu’à son nez
l’insoutenable captation, la véritable tranche marginale de l’impôt sur
le revenu atteint désormais 64%, avec une tranche marginale officielle à
45% à laquelle il faut ajouter une surtaxe de 3% pour les revenus
supérieurs à 250 000 EUR et des prélèvements sociaux de 15,5%. En
Allemagne, on est à 27% !
Lisez Alberto Alesina, ce professeur de
Harvard qui vient de démontrer à nouveau combien il est préférable de
baisser les dépenses que d’augmenter les impôts pour relancer la
croissance et l’emploi. Découvrez, au lieu de les tenir à distance, tous
ceux qui, avant lui, ont compris et démontré les méfaits de
l’hyper-impôt et l’élan libérateur, notamment sur le point fondamental
de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, d’un changement de
cap radical. L’innovation politique est là, la France ne l’ayant jamais
tentée. Mieux encore : ceux qui ont essayé ont toujours été réélus.
Voilà qui devrait convaincre.
Mais le plus pénible, et le plus inquiétant, est sans doute la montée
de ce moralisme fiscal nauséabond, cette mise en fiches puantes,
nominatives et dégradantes, de ceux qui ne font, pardonnez-leur,
qu’exercer leur liberté inaliénable de circuler, après avoir osé penser,
créer, inventer, et recruter. Que l’on soit riche ou pauvre, on ne
quitte jamais son pays sans tristesse. La sécurité que l’on poursuit, et
la liberté que l’on espère, ont cependant parfois plus de prix que ce
déchirement intérieur.
Mais au Carnavalgrad des joli-pensants, l’escroquerie du Bien risque
encore longtemps de faire office d’hymne national. A ceux-là, et surtout
aux artistes en quête de popularité, osons leur dire : plutôt que de
juger, d’insulter et d’ironiser, donnez, non des leçons, mais votre
argent. Dépassez les 75%, puisque vous y croyez tellement. L’impôt
volontaire existe. Il devrait être facilité. Ainsi, toutes les libertés
seront respectées.
Mathieu Laine est président d’Altermind, enseigne à Sciences-Po et
vient de publier le Dictionnaire du libéralisme (Larousse, 2012)
mercredi 19 décembre 2012
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