La vocation d'origine de ce blog n'était pas de commenter les événements français, mais je me sens obligé de parler un minimum des faits récents. Je ne garantis pas que cela se renouvellera.
Je travaille à la Société Générale depuis 2001, c'est-à-dire depuis à peine moins longtemps que "l'homme qui valait 5 milliards", Jérôme Kerviel, que je ne connaissais pas, et qui a mis la banque dans les embarras que l'on sait, selon ce qui a été rapporté et dont je n'ai pas de raison de douter (les théories du complot ont leurs limites, même si elles peuvent faire vendre beaucoup de papier). Notons que son nom n'aurait sans doute pas dû être mentionné (je crois qu'il y a eu une fuite - difficilement évitable - dans la presse), la présomption d'innocence devant s'appliquer.
En tant qu'employé, je n'ai en fait pas grand chose à dire - d'ailleurs j'ai un devoir de réserve, tant contractuel que déontologique (appelons ça l'éthique personnelle et le minimum de respect qui est dû à son employeur). D'abord je suis informaticien grands systèmes, et peu au fait de la technique financière. N'appartenant pas, de plus, à la caste syndicale qui peut se permettre beaucoup de choses impunément, je fais mienne l'idée libérale selon laquelle la liberté d'expression est naturellement limitée par le droit de propriété (et le respect des contrats passés, dont mon contrat de travail). Le slogan publicitaire ancien « si on en parlait ? » ne signifie pas qu'on ne soit pas tenu à une certaine discrétion. Je précise que mes propos n'engagent que moi et ne sont pas contrôlés par mon employeur (même si je fais évidemment attention à ce que j'écris pour ne pas le mettre en difficulté).
La banque repose sur la confiance : il y a le know your customer, et de la même façon le know your employee. Je crois que des formations sur l'éthique, la déontologie ou la responsabilité ne feraient pas de mal à chacun d'entre nous, salariés, employés ou cadres, même ceux qui comme moi ne sont pas en contact avec la clientèle ou les marchés. Chacun manipule plus facilement de l'argent qui ne lui appartient pas que son propre argent. C'est un problème vieux comme le monde, qui existe dans tous les secteurs (économique, politique...), le problème principal-agent.
Par je ne sais quelle inspiration étrange, je m'étais inscrit la semaine dernière, de ma propre initiative, dans le cadre du "DIF" ("Droit Individuel à la Formation", un de nos nombreux zacquissociaux) à une formation "Responsable, mais pas coupable (philosophie de l'éthique)" à l'université Paris 12... (ne voyez aucune allusion malvenue dans le nom de ce séminaire, qui n'est pas destiné aux hommes politiques, bien que certains feraient bien de le suivre). La sécurité informatique, ma spécialité, ne peut se tenir à l'écart des problèmes éthiques sous prétexte que "ce n'est pas de la technique".
En tant que petit actionnaire (comme la plupart des salariés de la banque), j'ai certes perdu de l'argent (virtuellement !) sur les 6 derniers mois... Pour ne pas concrétiser les pertes, en attendant des jours meilleurs, je devrai sans doute laisser passer la sarkozette numéro 2 - le déblocage exceptionnel de la participation avant le 30 juin, sur lequel j'avais un peu compté pour augmenter mon pouvoir d'achat.
Les événements récents me concernent d'autant plus que je m'étais amusé il y a dix ans, inspiré par les déboires du Crédit Lyonnais dans les années 90 (qui, ne l'oublions pas, ont impacté tous les contribuables-actionnaires, puisque le CL de Mr Haberer était sous contrôle de l'Etat), à publier un roman policier où un informaticien de génie perturbait sévèrement une grande banque. Ce roman, appelé d'abord le Tracassin (que j'avais fait passer pour une traduction de l'anglais), a été réécrit par moi avec un titre différent en 2006, et les 21 premiers chapitres sont disponibles ici (s'il y a un éditeur intéressé...). Je ne pensais pas que surviendrait un jour un problème de fraude un peu similaire chez mon propre employeur. Mais il est bien connu que la réalité dépasse la fiction...
Je ne suis pas pessimiste pour l'avenir. Finalement, la direction a bien fait de trancher dans le vif plutôt que de tenter de cacher la vérité (à supposer que ce fût seulement possible). Un rachat à venir de la Socgen par un concurrent, comme nous le promettent certaines gazettes ? Pourquoi pas ? L'employé y perdra peut-être, mais l'actionnaire y gagnera. Attendons de voir la suite des événements. La Socgen a été créée en 1864, elle a donc vécu trois guerres (au moins) et quatre ou cinq régimes politiques différents sur trois siècles. C'est dire si elle a la vie dure... Elle vivra tant qu'elle rendra des services de qualité à ses clients, et de ce point de vue une péripétie malheureuse ne doit pas masquer une réalité positive.
samedi 26 janvier 2008
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