« Citation : l'art de répéter erronément les mots de quelqu'un d'autre.» (Ambrose Bierce)
Le regretté Roland Jaccard (1941-2021) appréciait particulièrement la citation suivante, qu’il attribuait à Scipion l’Africain :
« Te souviens-tu de ces serpents qui, quand nous arrivâmes en Épire, effaçaient derrière nous les traces de nos pas ? D’autres serpents viendront et tout sera effacé. »
(cité par exemple dans Ma vie et autres trahisons, 2013).
Or cette citation n’est pas de Scipion l’Africain. Elle a été inventée par Henry de Montherlant (1895-1972) dans sa pièce La Guerre civile, et reprise dans ses Carnets 1958-1964 (intitulés aussi « Va jouer avec cette poussière »), publiés en 1966 chez Gallimard.
En effet, on trouve l’encadré suivant à la page 200 :
Et bien sûr Pompée (106-48 av. J.-C.) n’a jamais dit cela ! Voici ce que rapporte l’historien Dion Cassius (162-235) dans son Histoire romaine (livre XLI, paragraphe 14) :
Présages sinistres pour Pompée
14. Dès son arrivée à Dyrrachium, il apprit que cette guerre n'aurait pas une heureuse issue pour lui.
Pendant le trajet même, la foudre tua plusieurs de ses soldats, des araignées couvrirent les étendards militaires, et, quand il fut débarqué, des serpents se traînèrent sur ses pas et en effacèrent la trace. Tels sont les prodiges qui apparurent à Pompée en personne : d'autres se montrèrent à la ville entière, cette année et peu de temps auparavant ; car, dans les dissensions civiles, l'État est blessé de toutes parts.
Pire (ou mieux ?)
que la citation erronée : la citation inventée !
Un bel exemple de l’espiègle Roland (dans De la volupté et du malheur d’aimer,1992) :
Il est très peu probable que le genevois Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) ait été en avance sur Vladimir Nabokov (1899-1977), qui écrit dans son Lolita : « Ce sont des créatures élues que je me propose de désigner sous le nom générique de "nymphettes". »
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