Un État gagnant ? L’État abolitionniste !
Thierry Falissard (article n° 60 de Libres !!)
« L’État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m’impose un credo, le credo de la légalité. »
Les libertariens ont des conceptions bien arrêtées de ce que devrait être l’État, selon leurs options éthiques ou ontologiques (principe de non agression, propriété de soi-même, autonomie de la personne, éthique minimale, droit naturel, etc.).
Passons de l’autre côté de la barrière et devenons des étatistes ! Mais des étatistes rationnels, qui voient davantage l’État comme une entreprise utile et responsable – comme toute entreprise à succès – plutôt qu’un moyen de spoliation, de redistribution, d’enrichissement personnel par la corruption, et d’appauvrissement par la démagogie.
Imaginez-vous à la tête d’une de ces entités qu’on appelle « État », ou plutôt que nous appellerons dans sa nouvelle forme un ἐtat, c’est-à-dire un État banalisé, « epsilonisé », rendu à ses missions principales, l’inverse de l’État d’aujourd’hui. Il vous importe à vous, dirigeant et actionnaire, qu’il ne travaille pas à la destruction de la société ni à sa propre destruction, par la dette publique, l’absence de rentabilité, le déficit, la poursuite de missions contradictoires ou sans finalité précise, l’octroi de privilèges, et surtout l’absence de contrôle par ses actionnaires, appelés « contribuables ».
Les citoyens ne contestent pas la légitimité d’un ἐtat, qui existe ipso facto, comme fournisseur de certains services, entre autres de sécurité ; ils ne s’attachent qu’à évaluer les fonctions que rend cette entreprise particulière, en situation (ou non) de monopole. L’ancien État avait des esclaves, le nouvel ἐtat a des clients.
Car les citoyens, politiquement matures, ont perdu l’illusion de la représentation : un ἐtat ne représente que lui-même. Ils ont aussi abandonné l’illusion de l’intérêt général : le seul « intérêt général » qu’ils connaissent est le respect de leurs droits individuels, peu importe qui l’assure et de quelle façon. L’ἐtat n’est pas la nation, bien que l’État d’ancien style prétendît le contraire. A sa tête, il n'y a que les chefs des employés-fonctionnaires, pas les « représentants du peuple ». Par le vote, les électeurs ne donnent aucun chèque en blanc pour être « représentés » et agir en leur nom. Les contribuables ne sont plus un bétail passif mais deviennent des copropriétaires actifs. Ils ont réglé le problème séculaire de l’État, entreprise sans contrôle actionnarial, car tombée entre les mains de ses employés et de leurs chefs.
L’ἐtat est un État désacralisé, au service des citoyens, à rebours de l’État habituel qui exige que les citoyens soient à son service.
L’État d’ancien style rendait des services, dits « publics » car le public payait aveuglément pour eux, qu’il utilisât ces services ou non, qu’ils lui plussent ou non… L’ἐtat de nouveau style cherche à rendre le meilleur service : sa rentabilité en dépend. Pour cette raison, il est amené à se recentrer sur son cœur de métier, la coercition, la « violence légitime », le droit du plus fort – mais appliqué le plus judicieusement possible. Car l’ἐtat est évidemment en concurrence, y compris en interne. Ses actionnaires minoritaires pourraient se détourner de lui et former d’autres ἐtats plus adaptés à leurs besoins, selon un principe de subsidiarité.
Examinons à présent la pratique des ἐtats les plus prospères et les plus appréciés du public :
- ils ont séparé ἐtat et économie, en abandonnant tout interventionnisme économique ;
- ils ont répudié la dette courante de l’Etat en faillite dont ils ont hérité ;
- ils se sont interdits tout nouvel endettement autre que justifié par des investissements ;
- ils ont instauré une liberté monétaire : toute monnaie est acceptée par leur clientèle ;
- ils ont séparé l’ἐtat et le social ; l’ancien Etat n’était ni solidaire ni moral, puisque son action reposait sur l’immoralité de l’impôt, vol légal ;
- ils ont ouvert en grand les frontières (liberté de circulation complète des personnes, des marchandises et des capitaux) ; faute d’État-providence attractif, l’immigration est modérée et ipso facto « choisie » ;
- ils ont laissé disparaître d’eux-mêmes les monopoles de droit qui saignaient le pays et n’avaient aucune raison d’exister. Des dédommagements ont pu être payés à ceux qui profitaient de ces rentes étatiques, en vendant les biens de l’État en faillite.
En n’imposant qu’un droit minimal, expression de la légitime défense, une grosse partie du droit positif a été abolie, et le reste a été revu à la lumière du principe d’agression minimale : suppression du statut protégé des fonctionnaires (devenus salariés de l’ἐtat, ou prestataires extérieurs), du code du travail, de la sécurité sociale, abolition des lois qui instaurent des inégalités de droit ou limitent la liberté d’expression, suppression de la réserve héréditaire, rejet de la DUDH dans ses aspects antilibéraux, suppression de toutes les formes d’associations non libres, marché libre de l’adoption, etc.
Les secteurs auparavant étatisés, inutiles ou nuisibles, ont disparu (fisc, douane, inspection du travail, répression des fraudes, ministères non régaliens…) ou se sont adaptés : l’Académie française est devenue une association de promotion du français ; les diplomates rendent des services de négociation privés, etc. Chaque ἐtat ne s’occupe que de justice et de sécurité, en laissant tous les autres domaines à des entités plus compétentes que lui.
À qui nous accuserait de vouloir faire passer l’État en des mains privées, nous répondrons que c’est déjà le cas ! L’État actuel est la propriété de ceux qui en ont les rênes, officiellement (politiciens, fonctionnaires) ou officieusement (lobbies, syndicats, associations). Il faudrait le rendre à ses légitimes propriétaires, ceux qui paient pour lui : que les décideurs soient les payeurs, les payeurs les bénéficiaires.
C’est donc une nouvelle façon de considérer l’État que nous proposons : ni un ennemi, ni un représentant, mais un prestataire de services, dont le métier est la coercition, qui est jugé sur ses résultats ; utile dans certaines missions, il est porté à toutes sortes d’abus quand il est monopolistique ou quand son actionnariat est impuissant. Cette perspective futuriste exige du citoyen qu’il abandonne toutes sortes d’illusions, le credo de la légalité, la sacralisation de l’État. Cela prendra peut-être des siècles, mais on passera un jour d’une société d’oppression et de pauvreté à une société de liberté et de prospérité, par abolition des deux principales activités de l’État : l’interventionnisme et l’injustice par la loi.